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"Où les beaux Vers, la Danse, la Musique
L'art de tromper les yeux par les couleurs
L'art plus heureux de séduire les coeurs
De cent plaisirs font un plaisir unique"

Voltaire











"Le pathétique, que l'Opéra imite de la Tragédie, consiste dans les sentimens, les situations touchantes, le noeud, les incidens frappans, l'intérêt, le dénouement. Le merveilleux, qu'il imite de l'Epopée, consiste à réaliser aux yeux tout ce qu'elle ne fait que peindre à l'imagination. S'il est question d'une Divinité du Ciel, de l'Enfer, d'un naufrage, des êtres même moraux et inanimés, il les représente au naturel par la magie des décorations. Le caratère de l'Epopée est de transporter la Scène de la Tragédie dans l'imagination du Lecteur. Là, profitant de l'étendue de son Théâtre, elle aggrandit & varie ses tableaux, se répand dans la fiction, & manie à son gré tous les ressorts du merveilleux. Dans l'Opera, la Muse Tragique à son tour, jalouse des avantages que la Muse Epique a sur elle, essaye de marcher son égale, ou plutôt de la surpasser, en réalisant, du moins pour les sens, ce que l'autre ne peint qu'en idée. Pour bien concevoir ces deux révolutions, supposé qu'on eût vu sur le Théâtre une Reine de Phénicie, qui, par ses graces & sa beauté, eût attendri, intéressé pour elle les Chefs les plus vaillans de l'armée de Godefroi, en eût même attiré quelques uns dans sa Cour, y eût donné asyle au fier Renaud dans sa disgrace, l'eût aimé, eût tout fait pour lui ; & l'eût vu s'arracher aux plaisirs, pour suivre les pas de la gloire ; voilà le sujet d'Armide en Tragédie. Le Poëte Epique s'en empare ; & au lieu d'une Reine tout narurellement belle, sensible, il en fait une enchanteresse : dès lors, dans une action simple, tout devient magique & surnaturel. Dans Armide, le don de plaire est un prestige ; dans Renaud, l'amour est un enchantement : les plaisirs qui les environnent, les lieux même qu'ils habitent, ce qu'on y voit, ce qu'on y entend, la volupté qu'on y respire, tout n'est qu'illusion ; & c'est le plus charmant des songes. Telle est Armide embellie des mains de la Muse Héroïque. La Muse du Théâtre la reclame & la reproduit sur la Scène, avec toute la pompe du merveilleux. Elle demande, pour varier & pour embellir ce brillant Spectacle, les mêmes licences que la Muse Epique s'est données ; & appellant à son secous la Musique, la Danse, la Peinture, elle nous fait voir, par une magie nouvelle, les prodiges que sa rivale ne nous a fait qu'imaginer. Voilà Armide sur le Théâtre Lyrique ; & voilà l'idée qu'on peut se former d'un Spectacle qui réunit le prestige de tous les Arts : dans ce composé, tout est mensonge ; mais tout est d'accord ; & cet accord en fait une vérité ; la Musique y fait le charme du merveilleux ; le merveilleux y fait la vraisemblance de la Musique : on est dans un monde nouveau : c'est la nature dans l'enchantement, & visiblement animée par une foule d'intelligences, dont les volontés sont ses loix. Une intrigue nette & facile à nouer & à dénouer ; des caractères simples ; des incidens qui naissent d'eux-mêmes ; des tableaux sans cesse variés par le moyen du clair obscur, des passions douces quelquefois violentes, mais dont l'accès est passager ; un intérêt vif & touchant, mais qui par intervalles, laisse respirer l'ame : voilà les sujets que chérit la Poësie Lyrique, & dont Quinault a fait un si beau choix. La passion qu'il a préférée, est de toutes la plus féconde en images & en sentimens ; celle où se succedent avec le plus naturel, toutes les nuances de la Poësie, & qui réunit le plus de tableaux rians & sombres tour-à-tour. Les sujets de Quinault sont simples, faciles à exposer, noués & dénoués sans peine. Voyez celui de Roland : ce Héros a tout quitté pour Angélique ; Angélique le trahit & l'abandonne pour Médor. Voilà l'intrigue de son Poëme : un anneau magique en fait le merveilleux ; une fête de Village en amene le dénouement. Il n'y a pas dix Vers qui ne soient en sentimens ou en images. Le sujet d'Armide est encore plus simple. L'Opera peut embrasser des sujets de trois genres différens ; du genre Tragique, du genre Comique & du genre Pastoral. Nous allons faire, d'après le Spectacle des Beaux-Arts, quelques observations sur chacun de ces genres. Le Poëte qui fait une Tragédie Lyrique, s'attache plus à faire illusion aux sens qu'à l'esprit ; il cherche plutôt à produire un spectacle enchanteur, qu'une action où la vraisemblance soit exactement observée. Il s'affranchit des loix rigoureuses de la Tragédie ; & s'il a quelque égard à l'unité d'intérêt et d'action, il viole sans scrupule les unités de tems et de lieu, les sacrifiant aux charmes de la variété & du merveilleux. Ses Héros sont plus grands que nature ; ce sont des Dieux, ou des hommes en commerce avec eux, & qui participent de leur puissance. Ils franchissent les barrieres de l'Olympe ; ils pénetrent les abîmes de l'Enfer. A leur voix, la Nature s'ébranle, les Elémens obéissent, l'Univers leur est soumis. Le Poëte tend à retracer des sujets vastes & sublimes ; le Musicien se joint à lui pour les rendre encore plus sublimes. L'un & l'autre réunissent les efforts de leurs art & de leur génie pour enlever & enchanter le Spectateur étonné, pour le transporter tantôt dans les Palais Enchantés d'Armide, tantôt dans l'Olympe, tantôt dans les Enfers, ou parmi les Ombres fortunées de l'Elysée. Mais quelque effet que produisent sur les sens l'appareil pompeux, & la diversité des décorations, le Poëte doit encore plus s'attacher à produire, dans les Spectateurs, l'intérêt du sentiment. Les Sujets Tragiques ne sont pas les seuls qui soient du ressort du Théâtre Lyrique : il peut s'approprier aussi le genre Comique ; c'est-à-dire, les Piéces de caractère, d'intrigue, de sentiment. Le Comique de caratère peut être d'une ressource infinie pour ce Théâtre. Il fourniroit au Poëte & au Musicien un moyen de sortir de la Monotonie éternelle d'expressions miellées, de sentimens doucereux, qui caractérisent nos Operas Lyriques. Cependant ce genre est entierement négligé à notre grand Opera. On l'a abandonné au Théâtre des Italiens, avec les Piéces d'intrigue & de sentimens. Le génie Pastoral trouve aussi sa place au Théâtre Lyrique. Plusieurs de nos Poëtes s'y sont exercés avec succès. Les sujets champêtres font plaisir par les tableaux naïfs qu'ils présentent, & sont très-susceptibles d'une Musique gracieuse, par les images riantes dont ils sont ornés. L'Amour Pastoral a une candeur, une aménité, un charme ravissant. Il rappelle l'âge d'or, où le goût seul faisoit le choix des Amans, & le sentiment leurs liens & leurs délices. C'est, parmi nos Bergers, que l'Amour est vraiment un enfant, simple comme la Nature qui le produit ; il plaît sans fard & sans déguisement ; il blesse sans cruauté ; il attache sans violence. De telles peintures demandent une Musique naïve, des airs simples, un chant uni, une symphonie douce & tendre. Mais ce genre semble épuisé parmi nous, & n'avoir plus rien que de fade & de monotone".


Dictionnaire dramatique
de La Porte & Chamfort
[1776]







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